Conflits et pertes post-récolte - le cas de l'Ukraine

27 octobre 2023

Dix-huit mois après l'invasion russe de l'Ukraine, le monde fait face à une crise alimentaire majeure. L'invasion a causé d'immenses souffrances au peuple ukrainien et a entraîné des pénuries d’aliments, de carburant et d'engrais, ainsi que des prix alimentaires exceptionnellement élevés dans le monde entier. Cette situation a intensifié l'insécurité alimentaire mondiale due à la pandémie de COVID-19, aux chocs climatiques et aux guerres et conflits en cours.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime, d’après des informations provenant de 79 des pays où il est mis en œuvre (avec des données disponibles), que plus de 345 millions de personnes souffrent de niveaux élevés d'insécurité alimentaire en 2023, soit une augmentation de près de 200 millions depuis 2020.

Les conflits et la violence sont les principaux moteurs de la faim et de la famine. Selon le PAM,  60 % des personnes les plus affectées de la faim au niveau mondial vivent dans des régions touchées par des conflits armés. Outre la destruction des habitations, des vies et des ressources, y compris des stocks alimentaires, les guerres perturbent les transports, les marchés et la disponibilité des terres. Au niveau individuel, elles mènent à des pénuries alimentaires, des pertes de revenus et des augmentations massives des prix des denrées alimentaires.

La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires et des engrais, augmentant ainsi la pauvreté et la faim dans le monde. La protection des systèmes alimentaires contre les pertes et le gaspillage est une stratégie importante pour réduire l'impact des conflits sur la sécurité alimentaire. Champs de blé en Ukraine. Crédit : torange.biz sur Flickr (CC by 2.0)

L'Ukraine était avant a guerre l’un des plus grands exportateurs de céréales du monde, exportant suffisamment de denrées alimentaires pour nourrir plus de 400 millions de personnes chaque année. Et pourtant, les déplacements massifs, l’obligation du service militaire et l'occupation des terres agricoles ont rendu difficile, voire impossible, la culture et la gestion des récoltes dans les champs. Les intrants agricoles essentiels, tels que les semences, engrais et carburants manquent ou ne sont pas accessibles, ce qui entrave la production. De vastes territoires agricoles sont couverts de mines terrestres, posées par les forces russes, qui ont fait des centaines de blessés et de morts parmi la population civile. Selon le PAM, plus de 5 millions d'Ukrainiens sont déplacés à l'intérieur du pays et près de 6 millions vivent comme réfugiés en Europe.

L'impact sur la production agricole est catastrophique. Bien que supérieure aux prévisions, la production de blé de l'Ukraine en 2022/2023 a atteint 21,5 millions de tonnes, ce qui correspond à une baisse de 34 % par rapport à l'année précédente. La production de 2023/2024 devrait s'élever à 17,34 millions de tonnes.

Les baisses de production sont loin d'être les seuls défis pour les agriculteurs ukrainiens. Les perturbations des activités post-récolte (stockage, transport, etc.) compromettent la capacité des agriculteurs à écouler leurs récoltes sur le marché. La destruction des structures de stockage a entraîné d'importantes pertes post-récolte et des baisses de qualité, sans compter qu'elle limite considérablement la capacité future de stockage. Une étude réalisée en septembre 2022 par le laboratoire de recherche humanitaire de l'université de Yale indique que l'armée russe a endommagé, détruit ou pris le contrôle de près de 16 % des installations de stockage de céréales de l'Ukraine. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), en juin 2022 environ 30 % des installations de stockage de céréales disponibles étaient remplies de 22 millions de tonnes de céréales et d'oléagineux en attente d'exportation.

Dans les premiers jours de l'invasion russe, les ports ukrainiens étant bloqués ou occupés par la flotte navale russe, de grandes quantités de céréales et d'oléagineux destinées à l'exportation ont été bloquées dans les cales des cargos, où elles étaient exposées aux attaques d'insectes et à l'altération. L'initiative céréalière de la mer Noire, négociée par la Turquie, les Nations unies et la Russie en juillet 2022, a apporté un soulagement temporaire et stabilisé la flambée des prix en ouvrant un corridor pour les exportations de céréales à partir des ports du sud de l'Ukraine. Près de 876 000 tonnes de nourriture ont été expédiées à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie et au Soudan grâce à cette initiative.

En juillet 2023, la Russie a annoncé sa décision de mettre fin à l'initiative céréalière de la mer Noire, accusant l'Ukraine et l'Occident de ne pas avoir respecté leurs accords. La suspension de l'accord a provoqué une hausse temporaire des prix mondiaux du maïs et du blé, bien que ceux-ci soient revenus à leurs niveaux antérieurs à la fin du mois de juillet, en raison des prévisions améliorées de la météo et de la production. La Russie a fait suivre des raids aériens ciblés qui ont détruit et endommagé des ports de la mer Noire et des installations de stockage de céréales à Odessa et Izmail, un port du Danube. La Russie poursuit ses attaques contre les installations de stockage de l'Ukraine et a récemment lancé des frappes de drones sur les ports de Reni et d'Izmail. Ce genre d'attaques pourrait entraîner une augmentation des stocks en Ukraine (ainsi que des pertes post-récolte, compte tenu des capacités de stockage insuffisantes), ce qui pourrait contraindre les agriculteurs à réduire davantage l'ensemencement dans la prochaine saison, avec des répercussions dans les pays autres que l'Ukraine.

L'invasion russe de l'Ukraine est un lourd tribut à payer pour ce pays, mais elle a aussi considérablement accru l'incertitude de l'approvisionnement et du commerce alimentaire du monde entier. Le conflit a perturbé la dynamique logistique et commerciale dans une région qui est un fournisseur majeur de céréales et d'oléagineux pour le reste du monde. La guerre interrompt les chaînes d'approvisionnement et augmente davantage les prix mondiaux des céréales, des engrais et de l'énergie, entraînant des pénuries et une hausse constante des prix alimentaires. Avant la guerre, la Russie était un important exportateur de gaz naturel vers l'Europe, mais les sanctions occidentales contre le secteur pétrolier et gazier russe ont réduit les échanges et augmenté considérablement les prix à l'échelle mondiale. Le rapport 2022 de la FAO sur l'état de l'alimentation et de la nutrition dans le monde a conclu que "la guerre en Ukraine aura de multiples incidences sur les marchés agricoles mondiaux à travers les canaux du commerce, de la production et des prix, jetant une ombre sur l'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour de nombreux pays dans un avenir proche".

Les conséquences de l'invasion de l'Ukraine sur la sécurité alimentaire vont bien au-delà des frontières du pays. Les crises humanitaires déjà graves dans des pays tels que l'Afghanistan, la Somalie, le Soudan et le Yémen ont été amplifiées par la flambée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie provoquée par l'invasion. Les opérations d'aide alimentaire des organisations humanitaires ont été ralenties par les perturbations du marché, les retards de transport et les céréales endommagées par les insectes. La réduction drastique des exportations de denrées alimentaires en provenance du "grenier à blé" de l'Europe a également eu des répercussions directes sur l'aide alimentaire. Au cours de l'année passée, l'Ukraine a fourni au PAM 80 % du blé utilisé dans le cadre de ses opérations humanitaires en Afghanistan, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie, au Soudan et au Yémen. L'effondrement de l'initiative céréalière signifie que le blé devra être acheté sur d'autres marchés, où les prix ne manqueront pas d'augmenter. Dans d'autres cas, l'aide humanitaire est réaffectée à l'Ukraine et l'attention est détournée des crises préexistantes, ce qui accroît l'insécurité alimentaire auprès des communautés déjà vulnérables.

Récemment, l'Ukraine a annoncé la mise en place d'un "couloir humanitaire" temporaire pour les navires de commerce le long de la côte occidentale de la mer Noire, près de la Roumanie et de la Bulgarie. Dans un premier temps, ce couloir servira à évacuer les navires qui se trouvaient dans les ports ukrainiens au moment de l'invasion en février 2022 ; ces navires n'étaient pas couverts par l'initiative céréalière de la mer Noire. Toutefois, cette initiative est considérée comme un test du blocus russe des ports ukrainiens, réimposé après l'échec de l'accord sur les céréales en juillet. Un porte-conteneurs battant pavillon de Hong Kong, bloqué dans le port d'Odessa depuis l'invasion, a récemment emprunté la route sans encombre. Entre-temps, les autorités ukrainiennes s'efforcent d'accroître la capacité d'exportation via les réseaux fluviaux, routiers et ferroviaires, bien que ceux-ci soient relativement coûteux et ne disposent pas toujours d'infrastructures d'exportation appropriées. L'énorme arriéré de marchandises en attente d'exportation a été réduit grâce à l'expansion de la capacité d'exportation.

Bien que le conflit en Ukraine n'ait pas créé la crise de la faim dans le monde, il a intensifié la vulnérabilité des systèmes alimentaires locaux, régionaux et mondiaux déjà menacés par les guerres, le changement climatique et la pandémie de COVID-19. Alors que nous en apprenons davantage sur l'impact des conflits sur les systèmes alimentaires et la sécurité alimentaire, nous ne devons pas perdre de vue la nécessité de protéger les systèmes alimentaires contre les pertes et les gaspillages. Comprendre l'étendue et les causes des pertes post-récolte permet de cibler les ressources limitées et l'attention sur les actions qui peuvent réduire avec succès ces pertes au niveau des ménages, au niveau national et au-delà.

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